CASABLANCA:Histoire d'une ville impressionnante
Une base pour l'étranger: telle fut la fonction historique de Casablanca
(...) Sans l'étranger, Casablanca serait sans doute resté un tout petit village, tout au
plus un souk important". F. Joly.
Casablanca est une ville récente. Elle est contemporaine d'un choc (plus que d'une
rencontre) de cultures et de sous-cultures. Ce qui ne veut pas dire que cette ville n'ait
pas d'ancêtre fondateur. Les historiens s'accordent à nommer "Anfa" le site
ancien de la ville. Aujourd'hui, Anfa désigne un quartier résidentiel de luxe. Mais on
retrouve évoqué le nom d'Anfa dans des textes du XIème siècle, faisant remonter ainsi
sa fondation (par les Zénètes) à la même époque que celle de Salé . Léon l'Africain
la mentionne également comme une petite ville, qui, au XVème siècle, pratiquait la
course. En représailles, les Portugais, à la fin du siècle, décident de l'attaquer, 50
navires et 10 000 hommes à la charge. Les habitants d'Anfa, n'étant pas en mesure de
défendre la ville, la désertent définitivement pour Rabat et Salé. La ville sera
détruite et restera inhabitée pendant trois siècles.
En 1770, le sultan de l'époque décide de reconstruire cette place pour la préserver
d'un débarquement de Portugais qui venaient de perdre alors la ville de Mazagan (El
Jadida). La ville est appelée Dar El Beida 1. D'emblée, le sultan Mohamed Ben
'Abdallah la dote d'une mosquée, d'une medersa et d'un hammam pour la peupler en premier
lieu de troupes militaires: la ville dès sa fondation attire une population non citadine,
originaire de diverses contrées du Maroc, ce qui se reflétera notamment dans certaines
constructions. S'il installe ses troupes, le sultan souhaite aussi faire de ce
petit port un lieu de commerce international. Ce qui lui fait préférer le monopole
espagnol de l'exportation de grains à celui des Génois. Cette vocation commerciale, bien
qu'insufflée dès la naissance à la Maison Blanche et procédant d'une volonté de
l'État marocain (Makhzen) de s'ouvrir au commerce maritime, rencontrera beaucoup de
difficultés, à l'image des vicissitudes de l'histoire marocaine du XIXème siècle. Il
faudra attendre 1831 pour que Dar El Beida renoue avec la vocation pressentie, mais cette
fois-ci c'est Gênes qui est destinataire des principales exportations marocaines. Le
volume des activités commerciales reste, somme toute, mineur ; en 1836, 3% des
exportations maritimes du Maroc transitent par le port de Casablanca. Dès la seconde
moitié du XIXème siècle, la ville commence à prendre place en tant que comptoir
européen en Afrique du Nord. La France, par l'entremise de sociétés marseillaises, et
l'Angleterre (qui a introduit le thé au Maroc) sont les principaux partenaires
économiques. La France importe massivement de la laine de la Chaouïa et des céréales,
l'Angleterre s'intéresse à la laine et au coton pour sa manufacture textile : dès la
fin du XIXème siècle, des familles commerçantes de Fez s'installent comme
représentantes de maisons mères à Manchester. En 1906, Casablanca est le premier port
d'exportation du Maroc et la ville se peuple en conséquence ; de 700 habitants en 1836,
elle passe à 25 000 en 1907. Le Maroc est encore théoriquement un pays souverain, mais
à Casablanca, le contrôle économique est entre les mains des entrepreneurs français et
anglais ; ils détournent l'interdiction de la propriété immobilière par l'entremise
complaisante d'autorités locales (caïdales) ou par l'association avec des Marocains
(protégés) du pays Chaouïa. La mainmise économique est d'autant plus accentuée
qu'elle bénéficie de la coopération de certaines familles bourgeoises de Fez et de
Rabat qui viennent commercer à Casablanca et qu'elle est encouragée par le Makhzen.
Avant l'instauration officielle du Protectorat, existent les premiers signes du Casablanca
des années 30 et 40. Présence d'étrangers dynamiques et des premières grandes familles
citadines migrantes, exode de populations pauvres de la Chaouïa, des Doukkala, Tadla, du
Souss et du Drâ suite aux années de sécheresse de la fin du XIXème siècle, la petite
ville a ses aires périphériques de huttes (nouala) .
La Chaouïa est dès la naissance de Casablanca la première région d'émigration et ses
tribus sont les premières à mener la révolte dans la ville. Par deux fois déjà, et à
des moments symboliques de la crise de l'autorité makhzenienne, les tribus bédouines
entrent en rébellion et tentent d'assaillir Casablanca ; en 1794 et en 1795, les tribus
s'étaient révoltées dans tout le pays Chaouïa et avaient attaqué Dar El Beida, qui
avait été défendue et sauvée par les Espagnols. En 1907, la mainmise française sur
Casablanca ne semble plus faire de doute. L'émeute générale paraissant imminente, la
France et l'Espagne se mettent d'accord pour dépêcher des troupes à Casablanca afin
d'assurer la sécurité de leurs ressortissants. Et le débarquement des hommes du
Galilée en août 1907 provoque une rébellion sanglante. Il faudra alors s'enfoncer de
plus en plus dans les plaines côtières pour "pacifier" les tribus de la
Chaouïa. Tout le Maroc est entré en dissidence ouverte (siba), alors que l'autorité
politique est en décomposition ; le frère du souverain régnant prend alors la tête du
pays, mais la siba s'est généralisée, et Moulay Hafid pour imposer à tout prix son
autorité, n'a d'autre alternative que d'en appeler, comme son frère, à l'aide de la
France. Le 30 mars 1912 est signé le traité de Fez, par lequel la France s'est imposée
en douceur, quoiqu'inexorablement, au Maroc; c'est désormais l'ère du Protectorat.
C'est donc par les villes que le colonialisme pénètre au Maroc.
Le contexte socio-politique du Maroc est indissociable de l'histoire de Casablanca, car la
population marocaine de la ville vient de toutes les régions, des crêtes du Rif aux
confins du Drâ. Elle a vécu tous les soubresauts économiques et politiques que le Maroc
a traversé, et sa venue à Casablanca, outre la conséquence épisodique des années de
sécheresse, s'explique pour une part par les péripéties historiques qui allaient amener
le système colonial. Dar El Beida devient Casablanca, par l'infitah économique que les
acteurs économiques et les grandes banques françaises (Schneider, Banque de l'Union
Parisienne, Banque de Paris et des Pays-Bas) décideront.
1."Le nom provient sans doute d'une haute construction, blanchie à la chaux,
peut-être la maison du caïd, qui servait d'amer aux vaisseaux." A. Adam, Casablanca,
essai sur la transformation de la société marocaine au contact de l'Occident, op. cité,
p. 24.